Gain de folie

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GAIN DE FOLIE

 

André, il eût été préférable pour moi que ton livre fut moyen. J’aurais alors usé des formules hypocrites « J’ai pris un vif intérêt à te lire… », « Cette lecture m’a procuré un réel plaisir… ». En l’occurrence, j’aurais plutôt envie d’être dithyrambique. Comment, sans être taxé de partialité, puis-je faire l’apologie de l’œuvre d’un ami ?

Ces précautions étant prises, je vais pouvoir lâcher bride à mes compliments.

Ce livre a été écrit pour moi. N’est-ce point ce que ressent tout lecteur qui se sent en harmonie avec l’auteur ? Ta plume est efficace. Un style direct, dépouillé, qui épouse parfaitement les méandres noirs et tortueux de l’histoire. Tu maîtrises la tenue en haleine qui contraint le lecteur – pour son plaisir – a toujours pousser plus avant sa lecture. Il est en quelque sorte pris en otage ! Ce thème du gagnant de loterie dont la subite fortune bouleverse la vie et celle de ses proches est rebattu. Il était donc risqué de s’hasarder à en faire usage. Il fallait renouveler le genre, surprendre le lecteur. Pari tenu !

 

Extrait :

"Entre une éducation austère, un père cassant et une mère dégoulinante de bons sentiments, je ne trouvais pas ma place. Un enfant unique, transformé en chien savant lors des soirées mondaines qu’ils organisaient. "Allons, Alain, montre tes jolies mimines, joue cette sonatine de Diabelli au piano. Qu’il est mignon votre fils !"

Et ma mère de glousser. Nous étions en pleine révolution yéyé, le monde tremblait sur ses bases, et moi j’étais saucissonné dans un placard doré, gavé de convenances jusqu’à la nausée. Ma seule réaction d’ado buté, c’est que je ne fichais strictement rien au lycée, à leur grand désespoir. L’éducation catho, l’argent, leur rituel, tout m’était étranger.

Un jour, j’ai franchi le pas. J’ai pris mon baluchon et je suis parti sur les routes. La révolution culturelle par le petit bout de la lorgnette ! J’ai atterri en Asie parce que c’était une version bridée du Graal pour toute une jeunesse en rupture. Le bouddhisme me faisait fantasmer Là-bas, on ne prend pas le temps de philosopher. On se lève, on travaille, on mange ce que l’on a gagné, on se couche. Cette vie rude me convenait parce qu’elle était aux antipodes de ce que j’avais connu. Cette vision cauchemardesque d’un coffre-fort où l’on entasse son existence en chèques et en espèces, avant qu’il ne se transforme en cercueil-tirelire, je la vomissais. J’avais soif d’inconnu, besoin d’insécurité."

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