Café littéraire à la Maison d'Arrêt de Dunkerque

 

   Il a le regard aussi doux qu’un loukoum, une main posée sur le cœur tandis que l’autre, paume largement ouverte, effectue de larges arabesques pour affermir son propos. Il se nomme Alama. Il est jeune, cultivé, ne me fait-il pas remarquer qu’Urbain II était le pape, à la toute fin du XIème siècle, responsable et organisateur de la première croisade ?

crbst-couv-20silence-20et-20ombre-201502.jpg  Car l’action de « De silence et d’ombre »,

mon dernier ouvrage que je présente ici à la Maison d’Arrêt de Dunkerque se déroule à la fin du XIème. La dizaine de détenus présente est attentive et curieuse, mais c’est Alama qui monopolise l’échange. L’univers monastique dans lequel baigne le héros de mon histoire est un univers d’enfermement, comme le leur, sauf que celui-ci est consenti, souhaité. Tout au long de mon roman, Dieu est présent. La question ne tarde pas à venir, suis-je moi-même croyant ? J’avoue être un mécréant, ce qui les déçoit beaucoup. S’engage alors un fructueux débat sur la foi auquel participe un détenu d’origine afghane qui nous explique les raisons de sa présence en France. Il est réfugié politique. J’ai bien envie de lui demander les raisons qui l’ont amené entre ces murs, mais le sujet est tabou. Un autre avoue ne pas comprendre que l’on puisse vivre sans religion, sans réponse aux interrogations de l’homme désespéré. Comme pour appuyer ces dires, deux détenus se lèvent alors, gagnent discrètement un coin de la salle, se tournent vers La Mecque et s’agenouillent pour la prière. 

   

j-l-lafontaine.jpg  Jean-Louis Lafontaine prend le relais avec

(Photo : La Voix du Nord)

« Sa machine à rêves », machine que l’on peut comparer à la lampe d’Aladin qui n’est pas sans évoquer les contes orientaux. On le questionne sur les raisons qui le poussent à écrire et on nous confie écrire soi-même, poèmes, petits textes. 

   Ecrire, lire, parler, savoir utiliser le Verbe pour partager, pour se défendre. Tous sont d’accord sur l’universalité de la parole pleine de sens. Plusieurs d’entre eux suivent des cours de français. Je les encourage vivement à poursuivre en ce sens, « Les dominants sont ceux qui possèdent le Verbe, le Verbe qui évite aux poings d’exprimer leur violence aveugle et destructrice ». Propos, certes, un peu pontifiants, mais qui recueillent néanmoins leur adhésion.
   Applaudissements et remerciements chaleureux closent cet échange – ils ont autant parlé que nous – et rendez-vous et pris pour un nouveau débat.
  Au surveillant qui s’informe à la sortie de l’attention et de l’intérêt dont ont fait preuve les détenus lors de cette « intervention », je confie avoir été agréablement surpris par les connaissances d’Alama. « Ah bon ! » me fait-il étonné. Comme quoi on peut côtoyer des individus sans s’apercevoir que certains d’entre eux recèlent des richesses insoupçonnées.

J.F. Zimmermann, Dunkerque, 4 décembre 2012

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